Mon blog « Le Maroc qui était » traite d’un Maroc qui se trouvait à mi-chemin entre celui du 19e siècle et celui d’aujourd’hui. Le monde a tellement changé depuis les années soixante qu’on ne reconnaîtrait guère le Maroc que j’ai connu.
Voici mes souvenirs sur les moyens de transport de l’époque. Les volontaires dans leur vie professionnelle ne pouvaient pas se passer de ces moyens et bien sûr nous voulions aussi nous en prévaloir pour mieux connaître le pays qui nous avait accueillis, pays qui compte une grande richesse de choses à voir et à faire.
Au début du 20e siècle, le Maroc avait à peine plus de routes carrossables qu’au début du 10e, autrement dit, presque aucune. Après la chute de l’Empire romain, les quelques routes qui desservaient les villes sont tombées en désuétude.

Tout transport se faisait désormais au moyen de bêtes de somme, ce qui a certainement freiné le développement économique jusqu’à la colonisation française au début du 20e siècle.


Pendant le protectorat (1912-1956), les Français ont doté le pays d’un important système de transport. Au tout début, l’occupation militaire a occasionné la construction de chemins de fer et d’un réseau routier. Ensuite, la colonisation proprement dite nécessitait des ports maritimes et des routes goudronnées, ce qui a donné lieu à une importante croissance de la ville de Casablanca, qui deviendrait le pôle économique du pays. L’ère des avions suivrait peu après, avant l’avènement du tourisme.
À l’indépendance en 1956, le Maroc, tout comme l’Algérie, possédait déjà un vaste réseau routier très développé tel qu’on n’en trouvait nulle part ailleurs en Afrique. J’ai pu le constater moi-même en 1970 en traversant le Niger, pays beaucoup plus grand en superficie que le Maroc et qui, à l’époque, n’avait qu’une trentaine de kilomètres de routes goudronnées pour une superficie de 1 270 000 km².

J’ai fait la connaissance de volontaires à Niamey qui ont dû utiliser des chevaux pour se rendre à leur domicile. C’est chouette si c’est l’aventure qu’on cherche, mais en aucun cas très commode. Le matin ils pouvaient observer des girafes, qui s’abreuvaient dans une mare.
Le nouveau gouvernement marocain a poursuivi l’expansion du réseau de transport, mais les volontaires éprouvaient tout de même des difficultés de déplacement dans certains endroits et en certaines saisons, les mêmes difficultés d’ailleurs qu’éprouvaient les Marocains.
Ce billet décrit les moyens de transport tel que je me les rappelle.
Tout d’abord, il y avait les moyens par lesquels on arrivait au Maroc de l’extérieur du pays : autos, autocars, chemins de fer, ferry-boats, paquebots et avions. Le Maroc bénéficiait d’une situation géographique très favorable comparativement à celles de la plupart des pays du monde. À l’époque des années soixante, les volontaires arrivaient bien sûr par avion, presque tous débarquant à l’aéroport de Rabat-Salé. L’aéroport Nouasseur de Casablanca, que l’armée de l’air américaine avait rendu au Maroc en 1963, n’avait pas encore pris son importance actuelle.
Une fois au pays, les volontaires faisaient un court stage d’orientation d’une durée variable à Rabat où se situait le bureau du Corps de la Paix. C’est dans la capitale qu’on rencontrait les petits taxis, moyen de transport très commode et pas cher.

Si ma mémoire est bonne, les petits taxis de Rabat étaient de couleur rouge comme ceux de Fès.

Je ne me souviens pas d’avoir jamais pris l’autobus au Maroc, tellement le petit taxi remplissait parfaitement son rôle. Pour les volontaires qui servaient et vivaient ailleurs qu’à Rabat, on circulait surtout dans la médina, ce qui voulait dire à pied. Les Marocains l’appelaient « nemra ḥdaš », c’est-à-dire le numéro 11 ! Je ne sais pas si cette expression est d’origine arabe, berbère ou française. En français, il existe l’expression « prendre le train onze » qui veut dire effectivement aller à pied. Cette expression date du dernier quart du 19e siècle, mais la comparaison entre le nombre 11 et une paire de jambes remonte au temps du roi François 1e. Qui sait? En tout cas, je trouve l’expression parfaitement descriptive.
Pour le transport interurbain à partir de Rabat, on choisissait de préférence le train ou l’autocar. Une visite à Salé constituait la seule exception à cette règle, car de petites embarcations sur le fleuve Bouregreg desservaient les villes jumelles de Rabat et Salé.

Pour nous déplacer entre les villes et les villages du Maroc, on utilisait les autocars de la CTM, le train, ou les grands taxis. Ces derniers s’avéraient très pratiques pour les courtes distances. Je les prenais souvent pour aller de Sefrou, d’où ils partaient de la place devant le Bab Mkam, jusqu’à Fès où je travaillais.

Les grands taxis étaient en grande majorité de vieilles voitures américaines ou de vieilles Mercedes. Les chauffeurs variaient beaucoup quant à leur prouesse et quant à la propreté et salubrité de leurs véhicules, et en les utilisant j’avais souvent l’impression de mettre mon âme entre les mains de Dieu. Comme les grands taxis partaient dès qu’ils avaient fait le plein de passagers, des petites foules se formaient aux stations de taxis, et les gens se précipitaient dans les véhicules pour arracher leur place, parfois après une lutte acharnée lorsqu’ils étaient pressés ou les taxis peu nombreux. Je me rappelle une fois où une vieille citadine n’avait pas réussi à obtenir une place. Abandonnée dans le stationnement, elle menaçait le chauffeur de taxi, qui disparaissait au loin, le poing serré, en lançant une série de malédictions qui se terminaient par une dernière : « Llah ´ataik ksida », que Dieu vous donne un accident !
Si on n’était pas pressé, les cars de la CTM coûtaient moins cher, mais affichaient souvent complets. Un jour, descendu à Fès, j’ai trouvé le car pour Rabat complet. J’ai alors acheté un billet pour le suivant, confié ma valise à la CTM, et je suis allé passer l’attente en rendant visite à un copain. Or, j’ai passé trop de temps, et j’ai raté le départ. Pire encore, ma valise n’était même pas fermée à clé, et mon passeport était dedans (c’est un signe de la confiance que j’avais en la CTM, mais ce n’était tout de même pas très intelligent.) Alors, quoi faire ? J’ai décidé de faire de l’auto-stop dans l’espoir d’arriver avant le car raté. J’ai été vraiment chanceux, car une Peugeot 504 blanche est arrivée tout de suite. Le chauffeur parlait parfaitement français , et je lui ai expliqué ce qui m’était arrivé, et pourquoi j’étais au Maroc. Au cours de la conversation, le chauffeur a précisé qu’il était militaire américain, basé à Sidi Yahia. Bien sûr, là-dessus, on continuait notre conversation en anglais. Il m’a expliqué qu’il devait passer par la base. En dépit de cet arrêt, nous sommes arrivés avant le car, et j’ai pu récupérer ma précieuse valise. Ce militaire était diplômé de la même université que moi aux USA et avait terminé juste un an après moi; une pure coïncidence, mais une de plusieurs qui se sont produites pendant mon séjour au Maroc. Son français était excellent, car il avait fait ses études au Sénégal, je crois. Type bizarre, il se vantait d’avoir été conçu à l’Hotel Balima à Rabat, où ses parents avaient passé leurs vacances vingt-cinq ans plus tôt ! Néanmoins, il m’avait sauvé la peau, et je lui étais bien reconnaissant.

Sur les routes pluvieuses ou montagneuses, dont le Maroc regorge, on risquait souvent des retards. D’habitude, une fois les bagages mis sur le toit du véhicule, on pouvait regarder le paysage plus ou moins dans le confort. J’ai pu lire pas mal de livres pendant mes nombreux déplacements au Maroc. Les chauffeurs étaient toujours professionnels, et répondaient aux requêtes raisonnables. Je me rappelle encore le jour où j’allais à Rabat avec mon copain Gaylord Barr. Il était indisposé et attendait désespérément un W.-C. Ne pouvant pas attendre l’arrivée à Rabat, il a prié le conducteur de le laisser descendre à côté de la route. Il est disparu derrière le premier arbre, et n’a repris son voyage que sur un car suivant plus tard ce matin-là!
Si on voyageait entre des villes desservies par le chemin de fer, le train était le moyen de transport le plus rapide et le plus commode. Cependant, il arrivait des pannes. Un jour, en rentrant d’une excursion de montagne dans le Haut Atlas, le train s’est arrêté et est resté immobile pendant des heures sur les plaines de Chaouia. Ce train, un des plus modernes, bénéficiait de l’air climatisé et n’avait qu’un seul défaut : les fenêtres ne s’ouvraient pas ! Tout le monde a dû descendre de ce fourneau hermétique, alors que l’air frais à l’extérieur devait dépasser les 40 degrés!

Quant à l’avion, il coûtait trop cher pour les voyages à l’intérieur du pays, de sorte que les volontaires ne l’utilisaient que rarement. On ne touchait que 620 dirhams par mois, soit 120 $ de l’époque. Pendant les vacances du printemps en 1970, si je ne me trompe pas, mon copain Gaylord, professeur d’anglais au lycée Sidi Lhacen Lyoussi, a été invité par un de ses étudiants à passer les vacances chez sa famille à Oujda. Gaylord a acheté deux billets, l’un pour lui-même, l’autre pour son étudiant, afin de donner à ce dernier l’expérience de son premier vol en avion, un geste bien gentil de sa part.

Enfin, pour le travail, j’avais une vieille Jeep Willys. Indestructible, elle me transportait dans les coins les plus reculés de la Province de Fès. Peu d’autres volontaires avaient de tels véhicules, et j’étais vraiment chanceux et privilégié d’en avoir la mienne. C’était la dernière Jeep de la compagnie Willys, avec un empattement très court.

Auteur : David Brooks
Révision : Jim Erickson