Quand je travaillais au ministère de l’Agriculture, la province de Fès s’étendait vers le Nord dans ce que les géographes appellent le pré-Rif, et comprenait une région qui fait actuellement partie de la province de Taounate. La rivière Ouergha, un tributaire majeur du Sebou, avait à l’époque une plaine inondable.

En 1988, le barrage Al Wahda, deuxième barrage en importance en Afrique, a inondé la vallée fluviale créant ainsi un énorme réservoir. Le barrage a grandement facilité le contrôle des inondations et l’irrigation, mais accuse une accumulation rapide de limon. Il en est résulté une réduction de la sédimentation à l’embouchure du Sebou qui, à son tour, a entraîné une érosion des côtes.
Dans un contexte de changement climatique, ce problème et d’autres effets négatifs connexes, risquent de s’intensifier au fur et à mesure que le Maroc se réchauffe.

Cependant, quand j’étais dans la vingtaine, le barrage n’existait pas de sorte qu’on ne vantait pas la beauté des panoramas d’un lac qui n’existait pas.

La terre avait sans doute l’apparence de celle de l’époque où les armées de la dynastie des Almoravides se battaient dans une cause perdue contre leurs successeurs, tout aussi fondamentalistes, les Almohades, il y a presque un millénaire.

Dans leur quête de maintenir la maîtrise du nord marocain, les Almoravides ont construit une petite forteresse près du village actuel d’Amergu. Au sommet d’un promontoire qui permettait une vue dans toutes les directions, la forteresse assurait un contrôle sur les routes menant de Fès vers le Nord jusqu’à la côte.

Amergu est situé près du site du principal sanctuaire de Moulay Bouchta où un impressionnant moussem a lieu chaque année. J’y ai assisté en ce temps-là, et j’en prévois un billet dans un avenir proche.


Je ne me souviens pas comment j’ai fini par visiter la vieille forteresse. Elle n’était pas très éloignée de la route principale, mais exigeait quand même une petite escalade.
Les touristes la visitaient rarement. Le guide bleu de Hachette, toujours fiable et complet, la mentionnait comme quelque chose à voir, mais elle se trouvait dans une région peu courue et encore moins visitée par les touristes. Certains habitants du coin m’ont dit que la forteresse était portugaise, mais je savais même à l’époque que les Portugais n’avait jamais tenu des villes ou des forts ailleurs que sur la côte, de sorte que Amergu n’était sûrement pas portugais.

Il me semble que je devais être seul, ou bien en déplacement pour mon travail dans la région de Taounate. Après avoir stationné ma Jeep, je suis monté aux ruines par un sentier accidenté. Aujourd’hui, à bien y penser, je vois dans cette forteresse ce que les Français appellent les citadelles du vertige, soit des forteresses comme celles que les Cathares et plus tard les Français ont édifiées dans les Pyrénées, perchées sur des rochers excessivement abruptes et presque inaccessibles. Les Occitans et les Français les ont construites comme refuges ou pour des guerres de frontière.
À cet automne de 1970, pendant que l’après-midi glissait vers le crépuscule, je contemplais les gens qui avaient gardé ces ruines et pourquoi c’était si important de construire un château d’une telle hauteur. À part les vieux remparts et les portes de ses villes, le Maroc offre peu d’exemples d’architecture militaire médiévale, de sorte que Amergu est unique, et pour moi, sa solitude avait quelque chose de spécial.

Devant mes yeux s’étendait une mosaïque de fermes et de collines innombrables. Au nord, les montagnes du Rif étaient à moitié cachées par la brume et les nuages. Le temps automnal était encore clément. Malgré un vent, je n’avais pas froid, mais il y avait une tranquillité qui était perceptible. Qui étaient les Almoravides qui ne sont plus qu’un lointain souvenir? Qui étaient les hommes qui occupaient ce nid d’aigle? À quoi ressemblait leur monde? Si j’avais eu le temps, je serais resté plus longtemps pour voir le coucher du soleil et voir la noirceur descendre sur la scène, là où la noirceur des siècles était déjà tombée.
Je suis redescendu à ma Jeep. Un long voyage de retour à Fès et à Sefrou m’attendait.
Traduction: Jim Erickson