Toubkal 50 ans plus tard

Toubkal au coucher du soleil

Environ une semaine avant Noël, un article sur le tourisme a paru dans le Washington Post (Tourists are ruining these destinations. Here’s where you should travel, instead.) offrant des possibilités de voyages moins courus en remplacement de certaines destinations très populaires qui sont de plus en plus coûteuses et bondées. On a proposé, par exemple, un autre site au Pérou pour remplacer Machu Picchu.

Au cours des cinquante dernières années, l’expansion du transport aérien a rendu accessibles et abordables des régions autrefois éloignées des sentiers battus. La mention de Machu Picchu m’a rappelé un souvenir.

Au milieu des années 1960 quand j’étais à l’université, Chuck, un étudiant dans la chambre attenante à la mienne dans Cutter Hall, avait été au Pérou. Il se peut que sa famille y restait. Les visites au célèbre site Inca étaient moins fréquentes et plus difficiles que de nos jours. Il m’a raconté comment lui et un ami sont arrivés tard à Machu Picchu, ont regardé l’arrivée de la nuit dans les montagnes, et ensuite se sont installés dans leurs sacs de couchage. Tout seuls au milieu des ruines, « la cité perdue des Incas » leur appartenait. L’expérience était presque spirituelle et ils attendaient impatiemment l’aube.

Un thuya en route vers Tazaghart

Quand ils se sont réveillés le lendemain, par contre, l’aube ne leur a pas apporté ce à quoi ils s’attendaient. Dans un vacarme considérable, une équipe de cameramen préparait un tournage, Le secret des Incas, mettant en vedette Victor Mature, acteur de films de série B dont la notoriété reposait sur les rôles qu’il jouait dans des films bibliques des années 1950.

Or, en toute honnêteté, je n’ai pu trouver un film de ce titre mettant en vedette Victor Mature; il s’agissait peut-être de Le secret des Incas avec Charlton Heston ou même d’un autre navet encore plus insignifiant. Quel que soit le film qu’on tournait lors du réveil de Chuck et de son ami, Machu Picchu s’est avéré tout sauf « une cité perdue ».

J’aurais préféré que ce soit un film de Victor Mature. Cette star américaine avait une réputation d’acteur médiocre à tel point qu’à l’université Harvard, les étudiants lui ont décerné le prix de Pire acteur de l’année, et ce plus d’une fois. Bon prince, Mature l’acceptait de bonne grâce. Une fois en Californie il avait fait une demande pour devenir membre dans un club de golf, demande qui a été rejetée « parce il était acteur », ce à quoi il a répondu avec indignation : « Je ne suis PAS acteur, et j’ai soixante-quatre films qui le prouvent. »

Dans la liste de nouveaux sites à visiter se trouve le mont Toubkal en remplacement de l’Everest. Le camp de base du mont Everest est devenu une destination très fréquentée par les randonneurs. Autrefois le simple défi de se rendre à la base des montagnes constituait l’un des dangers et l’une des difficultés de l’ascension des 8 000 mètres des sommets himalayens. Les récits des premières ascensions témoignent des difficultés des approches et racontent des histoires de porteurs qui abandonnent, de passages à gué dangereux et de forêts de rhododendrons infestées de sangsues.

Maisons typiques dans la région du Toubkal

De nos jours, quiconque qui jouit d’une bonne santé et a les moyens de payer le billet d’avion, peut trouver le moyen de s’y rendre à pied et ce n’est donc pas surprenant que certaines parties de l’Himalaya soient débordées. En Europe pour les pistes populaires, les alpinistes doivent faire la file et la France vient d’annoncer des limites (200 personnes par jour) pour ceux qui veulent grimper au sommet du mont Blanc.

Or, le Toubkal se situe à une tout autre échelle que celle de l’Himalaya et présente des paysages différents. Le sommet du Toubkal est des milliers de mètres plus bas que le camp de base de l’Everest et, si vous voulez voir de la neige au Maroc, il faut y aller pendant une saison autre que l’été. Ceci dit, une visite au Toubkal coûte relativement peu cher et, se trouvant à une courte distance de Marrakech, est d’accès facile. Ayant passé du temps dans cette région du Haut-Atlas, je n’hésiterais pas à en recommander les paysages. On peut se rendre facilement à la base du Toubkal à pied ou à dos de mulet, en quelques heures plutôt que jours, et la plupart des randonneurs peuvent composer avec l’altitude modeste du Toubkal.

Malheureusement, peu de temps après la publication de l’article mentionnant le Toubkal, deux jeunes femmes scandinaves qui faisaient du camping près d’Imlil ont été brutalement assassinées. La police marocaine a rapidement mis la main au collet des suspects et, selon la presse, certains des responsables impliqués avaient prêté serment à l’État islamique.

Depuis une vingtaine d’années, le Maroc, à l’instar des autres pays du Maghreb, a vécu des attaques terroristes, mais elles ont été peu nombreuses. Le tourisme constitue une source de revenus importants pour le pays et la protection et la sécurité des visiteurs étrangers a toujours été une préoccupation prioritaire du gouvernement marocain.

Vue vers l’est à partir du chemin Tizi-n-Test, Angour et Tazaghart

J’ai vécu au Maroc peu de temps après son indépendance de la France. À cette époque, la tolérance religieuse envers les non-musulmans était variable et dépendait de plusieurs facteurs, mais peu de Marocains avaient des croyances comparables à celles des islamistes radicaux de nos jours. Les Marocains, à l’aise dans leurs convictions et dans leur religion, abordaient les non-musulmans avec confiance. Après tout près d’un demi-siècle de régime colonial et des siècles de conflit avec des puissances chrétiennes et musulmanes, des conflits qui avaient plus à voir avec la concurrence relative aux terres et au commerce qu’avec la religion, les Marocains s’étaient forgé une identité propre. Les Marocains que j’ai connus, plus jeunes et mieux instruits, semblaient moins religieux que leurs aînés et se moquaient souvent des croyances populaires, mais ils étaient tout de même convaincus d’avoir la véritable religion, à part quelques athées autoproclamés qui prenaient soin d’en parler tout discrètement. Pendant les sept ans où j’ai vécu au pays, j’ai été témoins de bien peu d’incidents de préjugés religieux. Celui dont je garde le plus vif souvenir est arrivé au Jbel Alam pendant le moussem de Moulay Abdessalem ben Mechich, quand une jeune femme a fait exprès pour s’en prendre à moi et à un ami. Elle trouvait que nous n’avions pas d’affaire là et elle l’a dit avec force, mais ses sentiments n’ont pas trouvé d’écho chez les centaines d’autres participants et finalement elle a été emmenée par ses amis ou par sa famille.

Chemin menant à la base du Toubkal à Aremnd

Il se peut que les Marocains soient devenus plus conservateurs depuis les cinquante dernières années. L’Arabie saoudite travaille fort pour exporter sa version de l’islam partout dans le monde musulman et, à grand renfort d’argent, a connu du succès. Les Saoudiens que j’ai rencontrés quand je voyageais en Arabie saoudite ne cachaient pas leur mépris pour l’islam marocain qu’ils considéraient infesté de magie noire, de sorcellerie et de vénération de saints. De plus, ils dénonçaient l’attachement des élites marocaines à la langue et à la culture françaises.

Vue d’Akioud à partir de la partie occidentale de la crête du Toubkal, tard dans la journée

L’islam radical offre un débouché séduisant aux pauvres, désenchantés et sans emploi qui ne peuvent autrement exprimer leurs opinions politiques. Un terme ironique en langue arabe, « armée des oisifs » désigne cette source de recrues jeunes et vulnérables prêtes à tout sacrifier pour des causes spéciales.

L’islam est une religion politique et dans les pays musulmans, la séparation de la religion et l’État n’existe pas. Il n’y a pas de pays musulmans laïques. Par contre, il existe bien d’autres façons d’aborder l’islam à part celle des Saoudiens. Le Maroc, quels que soient ses défauts, a toujours fait preuve de modération et de tolérance.

Vue donnant sur Tachdirt lors d’une journée enneigée en mars.

Durant le protectorat, le Club alpin français a construit des refuges de montagne dans la région du Toubkal. Au fil des ans, le tourisme s’est développé et plusieurs compagnies privées, généralement françaises ou britanniques, offrent des excursions et des randonnées, non seulement près du Toubkal, mais aussi dans d’autres pittoresques régions montagneuses de l’Atlas. Grâce au tourisme étranger, Imlil s’est développé et a prospéré.

Refuge de Lépinay en face de Tazaghart

Si vous prévoyez un voyage au Maroc, je vous encourage à y aller sans souci. Mon seul bémol : pour de jeunes femmes, où que ce soit dans le monde, faire du camping seule constitue un risque. Je conseillerais aux femmes de voyager accompagnées de compagnons masculins, en groupes organisés ou bien de rester dans un refuge de montagne. Coucher sous une tente seule peut s’avérer dangereux. Ceci dit, depuis quelques années il y a eu plus d’attaques terroristes à l’intérieur des États-Unis qu’au Maroc; les incidents récents ne devraient pas vous dissuader d’y faire une excursion.

Treq es-slama! (Bon voyage!)

morocco h atlas tsoukei copy

                           Crête de Tsoukine au coucher du soleil

 

Auteur: David Brooks

Traduction: Jim Erickson

 

Author: Dave

Retired. Formerly school librarian, social studies teacher, and urban planner.

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