La chasse aux singes au Maroc

l-qerd eš-šaref ma-itallem eš-šṭi

« Un vieux singe ne peut pas apprendre à danser. » Proverbe marocain

Avant que mes lecteurs se scandalisent du titre de ce billet, je tiens à préciser que ce dont je vais parler n’a rien à voir avec des activités telles que la chasse au sanglier, divertissement populaire chez de riches étrangers à Tanger il y a environ un siècle. À cette époque, des cavaliers chassaient des sangliers et les tuaient à coups de piques. Loin de là mon intention. Je parle plutôt de poursuivre des singes afin de les observer.

L’observation de singes peut paraître bien banale. Parmi les singes de l’Ancien Monde, bien des espèces habitent les forêts tropicales et les savanes de l’Afrique subsaharienne. En Afrique du Nord, par contre, il n’y a qu’une seule espèce, du genre Macaca. Les macaques sont répandus dans beaucoup de parties de l’Asie, mais une seule espèce, Macaca sylvanus, se trouve en Afrique. Ces grands singes sont limités aux montagnes de l’Algérie et du Maroc.

Toujours intéressé par l’histoire naturelle, j’espérais voir des macaques dans leur habitat naturel et mes atteintes me semblaient raisonnables vu que je demeurais à Sefrou en bordure des montagnes du Moyen Atlas.

Il y a des poches de ces singes dans le Rif, dans le Moyen Atlas et dans le Haut Atlas central ainsi que dans les montagnes de l’Algérie. On en trouve également une petite population sur le rocher de Gibraltar, appelés macaques de Barbarie, où ils constituent une importante attraction touristique.

Sur le rocher de Gibraltar où l’on garde les macaques de Barbarie.

Comme il n’y a pas de trace de fossiles de ces singes dans l’Europe post-pléistocène, l’explication la plus plausible de leur présence sur Gibraltar veut que les macaques aient été introduits par des Européens ou bien des envahisseurs maures au Moyen Âge. Autrefois, l’armée britannique s’occupait de l’alimentation et du soin des singes, et selon une tradition, on prétendait que tant qu’il y aurait des singes sur le rocher, Gibraltar resterait britannique. En fait, Winston Churchill cherchait à accroître leurs nombres quand la population semblait décliner.

Gibraltar. Un macaque amical profite de la vue à partir d’une épaule de Maren Erskine. Photo gracieuseté de Reed Erskine, Morocco X.

Aujourd’hui, selon les estimations, la plus grande partie de la population des Macaca sylvanus, environ 75 % de la population totale, vit dans le Moyen Atlas marocain. Certains de mes billets précédents montrent des photos de leur habitat, soit des forêts de cèdre avec un sous-étage de chênes verts. Les cèdres et les chênes sont associés, les chênes fournissant un environnement humide pour la croissance des jeunes cèdres.

Cet impressionnant cèdre fut nommé en honneur d’un général français. À noter les chênes verts à l’avant-plan et sur la droite. Aujourd’hui, à l’instar du Maroc colonial, le cèdre Gouraud n’existe plus. D’une hauteur comprise entre 40 et 42 mètres, on estime que son âge serait de presque 800 ans. L’arbre a été déclaré mort en 2003 pour des raisons inconnues.

Le cèdre de l’Atlas (Cedrus atlantica) est l’une des véritables espèces de cèdre, les deux autres étant originaires du Moyen Orient et des Himalayas. Le chêne vert (Quercus ilex) et le cèdre de l’Atlas se trouvent tous deux en Grande-Bretagne. De majestueux cèdres de l’Atlas y embellissent de nombreux domaines ruraux, mais, hélas, constituent simplement une espèce envahissante. En France on exploite le cèdre comme bois de construction et pour la reforestation. Un ami français en avait des milliers sur sa propriété vallonnée à l’extérieur d’Albi. Dans des parcs royaux, comme celui qui entoure le Château de Chaumont-sur-Loire, on trouve souvent de vieilles cédraies.

Les macaques mangent un régime d’aliments saisonniers : écorce et cônes de cèdre, glands, champignons et bien d’autres plantes sauvages ainsi que des insectes.

Les cônes femelles du cèdre sont gros et se tiennent dressés sur les branches.

De nos jours, le nombre de Macaca sylvanus est en déclin rapide, probablement en raison de la disparition de leur habitat, et l’espèce a été officiellement reconnue comme menacée.

Les cèdres occupent une zone située entre 1 300 et 1 800 mètres d’altitude et constituent parfois des forêts pures.
Les chênes verts abondent à des altitudes plus basses que les cèdres.

Mon travail dans la province de Fès m’amenait parfois à travers les montagnes. À l’époque, la province de Fès s’étendait jusqu’à Boulemane et Missour au sud. Grâce à la Jeep que j’avais à ma disposition pour le travail, je faisais souvent des excursions dans la forêt avec des amis et des visiteurs.

Les forêts de cèdre constituent le principal pâturage estival pour la transhumance traditionnelle. Cette photo a été prise un peu à l’extérieur d’Ifrane.

Alors qu’une troupe de singes peut occasionnellement s’apercevoir près d’un chemin, je n’en ai jamais vu en conduisant et je soupçonne qu’ils fuyaient tout contact humain. Les bergers les considéraient une nuisance, sans doute parce que les singes dérangeaient leurs troupeaux. Une fois je me suis arrêté pour demander à un berger s’il voyait parfois des singes. « Êtes-vous sérieux?, répondit-il, les petits salauds sont partout ! » Je présume que si l’on était au cœur de la forêt sans faire beaucoup de bruit, on les verrait souvent. Jusqu’à vers la fin de mon service dans le Corps de la Paix, le seul macaque que j’ai vu était mort, pendu très haut dans un cèdre. Est-il mort en faisant une chute, a-t-il été tué par un chasseur juste pour le plaisir ou est-il mort d’une maladie ou de vieillesse?

Il n’y avait pas moyen de savoir de quelle façon ce macaque a péri.

En décembre 1971, Gaylord Barr et moi avons amené deux de ses lycéens à la station de ski de Michifen, simplement pour le plaisir. Il y avait eu une grosse chute de neige, mais le jour était radieux, un ciel bleu vif et un soleil fort.

Les routes principales étaient bien dégagées, mais nous avons été pris dans un chemin secondaire plus étroit. Les pneus tout terrain de la jeep ne convenaient pas pour la neige.

La neige pesait encore sur les branches de cèdre et scintillait en fondant.

La forme tabulaire est caractéristique des cèdres qui semblent, en vieillissant, perdre leur dominance apicale.

Des skieurs remplissaient le vieux cratère volcanique et le casse-croûte de la station était bondé de visiteurs. Malgré la neige, un soleil fort assurait des températures clémentes.

Le casse-croûte en 1970.
Vue de la station de ski depuis la couronne du cratère.

Pour les étudiants, c’était une première occasion de voir des skieurs, même si la station se trouvait tout près de chez eux à Sefrou. Pendant que les trois autres profitaient du soleil et buvaient des cocas, j’avançais péniblement à travers la neige, appareil-photo à la main, espérant trouver un bon point de vue pour prendre une photo.

Sur le point de partir à la recherche de photos et de paysages, j’ai fini par croiser des macaques.

Alors que je me battais dans la neige jusqu’aux genoux sur les collines au-dessus de la station, un petit groupe de singes a croisé mon chemin. Ma présence a dû les effaroucher car ils avaient disparu en un clin d’œil. Aucune possibilité de prendre une photo, mais j’étais content d’en avoir vu en chair et en os en pleine nature.

Partis avant de pouvoir les prendre en photo, les macaques ont laissé ces traces dans la neige.

En Amérique nous avons l’habitude d’associer les singes aux climats chauds, mais les macaques se trouvent parfois bien au nord des tropiques, notamment au Japon où ils profitent des sources chaudes.

Les singes n’étaient pas les seuls animaux indésirables dans les forêts de cèdre. Les sangliers aussi étaient fréquents et mangeaient beaucoup des mêmes aliments que les macaques. Les chênes verts qui poussaient en association avec les cèdres produisaient une abondance de glands. Parfois ces gros glands comestibles se récoltaient et on les trouvait au marché de Sefrou, mais comme leur goût est fade, on les considérait comme une nourriture de dernier ressort. Je n’ai jamais vu une recette pour un plat marocain avec glands. Les sangliers en raffolaient, cependant, comme ils aimaient aussi les champignons et les truffes, tout comme les macaques.

Je ne voulais jamais surprendre un troupeau de sangliers. Imprévisibles, gros et dotes de défenses redoutables, ils peuvent être dangereux. Je n’en ai jamais vu, mais un ami, Jean-Michel Vrinat, médecin coopérant à Ouazzane, en a tué un et j’ai pu déguster la viande que je trouvais maigre et savoureuse. J’aurais peut-être été heureux de vivre avec Astérix et ses amis. Les Marocains n’apprécient pas le sanglier puisque le porc est haram et la viande interdite. Les sangliers constituent un fléau plus dangereux que les macaques et s’en prendront aux humains quand ils se sentent menacés.

Jean-Michel Vrinet, en chemise rouge et chapeau blanc, guidant ses amis à travers l’Akioud dans le Haut Atlas.

Jean-Michel était un vrai sportif et est arrivé au Maroc pour faire son service avec non seulement un fusil de chasse, mais encore avec du matériel d’alpinisme, des épées et Dieu sait quoi d’autre. On a fait de l’escalade ensemble dans le Toubkal et il était meilleur grimpeur que moi. Malheureusement, j’ai perdu contact avec lui, mais un ami mutuel m’a dit qu’il s’était marié avec une « princesse vénitienne » et pratiquait la médecine chez eux dans la vallée de la Loire.

Mes rencontres avec des singes allaient se poursuivre. Peu après la rencontre mentionnée précédemment, pendant que je me dirigeais vers le sud, vers la frontière ghanéenne à partir de Ouagadougou après notre traversée du Sahara, nous avons repéré une troupe de babouins qui fuyaient à travers les broussailles du Sahel. Aucune possibilité de prendre une photo. À part des renards volants (roussettes) et des gazelles, les babouins étaient les seuls animaux exotiques que j’ai vus pendant ce très long et sinueux voyage.

J’ai eu d’autres rencontres vers la fin des années 1970 quand j’habitais Chaouen. Les hautes montagnes en arrière de la ville m’attiraient toujours et parfois je cherchais le plaisir des hauteurs montagneuses.

Chaouen, que l’on écrit aussi Chauen, Chefchaouen et Xauen, se trouve à la base des montagnes du Rif, au-dessus d’une vallée qui mène à Tétouan.
Les forêts au-dessus de Chaouen sont constituées principalement de pins et de sapins et s’étendent aux sommets des montagnes de 1 800 mètres derrière Chaouen.
Les neiges hivernales fournissent l’humidité dont les arbres ont besoin, ainsi que l’eau pour les fermes au pied de la montagne.
Les sapins et les pins s’étendent jusqu’aux sommets. Les neiges ne durent que trois mois.
Promenade avec deux de mes étudiants du collège arabe de Chaouen.

Dans les faits, cette extrémité du Rif n’est par particulièrement élevée, mais les sentiers étaient peu nombreux et l’ascension pouvait s’avérer exigeante. La plupart des touristes se contentaient de rester dans cette ville pittoresque à laquelle Raisuni et Franco avaient donné une certaine notoriété.

Chaouen est une destination touristique majeure.

Avec ses toits en tuile et ses maisons couleur bleue, Chaouen est une destination touristique depuis longtemps. Son emplacement en bordure du Rif et sa proximité à Tanger, Tétouan et Ceuta l’ont rendu populaire auprès des touristes. Il y a quelques années, le New York Times a publié un article sur Chaouen. Peu de touristes sont conscients des événements sanglants de la guerre du Rif et de la retraite désastreuse de l’armée espagnole de Chaouen en 1924.

Les montagnes s’élèvent abruptement et sont spectaculaires. Les pentes inférieures étaient couvertes de forêts de chênes-lièges, les seules au Maroc à l’exception de celle de la Maâmora (ou Mamora), à ce que je sache, alors qu’aux sommets on trouvait de belles forêts de pins et de sapins matures, même si, il y a 50 ans, elles faisaient l’objet d’un abattage massif.

L’entrée en forêt
En randonnée avec des copains

Tout comme les chênes verts, les chênes-lièges produisaient un gland comestible, même si peu de Marocains semblaient les manger. Les Marocains n’appréciaient pas non plus les champignons qui poussaient au pied de ces arbres, qui ne se trouvent qu’à basse altitude.

Comme on savait qu’il y avait des singes dans le voisinage, mes amis français et moi nous nous sommes proposés un jour d’essayer d’en trouver quelques-uns.

Entassés dans un Land Rover, nous avons pu nous rendre à un col en dessous des sommets.

Nous sommes montés par la piste qui mène à un col derrière la ville pour ensuite nous démener afin de contourner les rochers accessibles. Nos efforts ont cependant été récompensés.

Tout le monde avait un appareil-photo, mais les singes étaient méfiants.
Les rebords rocheux fournissaient d’excellents points d’observation.
Les copains guettent les singes.
Quand le temps le permettait, nous avons traqué les macaques.

Hélas, les singes n’avaient aucune envie de nous voir. J’ai pris plusieurs photos de ceux qui sautaient en dessous de nous sur des rebords rocheux, mais je n’ai réussi à obtenir que des minuscules points où l’on ne saurait reconnaître des singes. Toutefois, ce fut une journée agréable et nous avons tout de même vu des macaques.

Dans cette photo, il y a deux macaques. Pouvez-vous les repérer?

Si vous désirez apprendre plus sur Macaca sylvanus, vous en trouverez un article sur Wikipédia. À ceux qui aimeraient observer ces singes, je leur souhaite meilleure chance que moi. Quant aux singes, je leur souhaite une chance raisonnable de survivre dans un environnement qui devient de plus en plus restreint et fragmenté. Je vous recommande encore une fois les articles de Wikipédia sur les macaques de l’Afrique du Nord que vous pouvez trouver en français et en anglais.

Auteur :  David Brooks

Traduction : Jim Erickson.

 

Author: Dave

Retired. Formerly school librarian, social studies teacher, and urban planner.

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