Dans les années 1960, aucun chemin asphalté ne menait au pied du mont Bouiblane. Aujourd’hui il en existe peut-être un, au moins un tronçon, et il est possible que les pentes aient été aménagées pour le ski. Je crois que les Français y faisaient du ski au temps du protectorat. En 1968, que l’on venait de Sefrou ou de Taza, on y arrivait par des pistes de montagne. Des ruisseaux envahissaient les pistes, des éboulis les bloquaient et, durant les mois de froid, la neige les rendait glissantes, augmentant le danger de déraper et de dévaler des pentes bien abruptes.
En passant d’Oujda à Taza, Bouiblane est visible à partir des plaines de la Basse Moulouya ainsi que, bien entendu, du ciel.
Bouiblane est visible également de la région de Fès. Je pouvais le voir de ma terrasse à Sefrou. C’était mon Kanchenjunga et Sefrou peut-être mon Darjeeling. Non pas la présence menaçante du Kanchenjunga des sœurs du Narcisse noir¸ mais une présence constante et rassurante. La montagne interpellait, et c’était impossible de résister à la tentation de la voir de près. À partir d’un belvédère à Ahermoumou, on avait une belle vue, mais au prix d’un tour en voiture.
Monter l’escaler jusqu’à la terrasse de ma maison était pas mal plus facile. Au crépuscule des belles journées d’hiver, les pentes du Bouiblane rosissaient peu à peu pendant que les crécerelles vivant dans les murailles de la ville faisaient quelques autres acrobaties avant de regagner leurs trous pour la nuit.
Et nous voilà partis, Gaylord Barr et moi, un certain week-end d’hiver. On m’avait prêté l’une des jeeps Willys dont disposait le Corps de la Paix.
À proprement parler, je ne devais pas l’utiliser pour le tourisme, et en général je me soumettais de bon gré à cette contrainte. Pour faire la navette entre Sefrou et mon emploi au ministère de l’Agriculture à Fès, par exemple, je prenais des bus et des taxis. La jeep aurait facilité ces déplacements, mais la plupart du temps je lisais et profitais du temps de la navette. Après coup, cependant, je regrette de ne pas l’avoir utilisée plus pour visiter mon coin du Maroc. Je n’ai jamais été à Erfoud ou à Merzouga pour voir les dunes, mais j’en ai vu pas mal en traversant le Sahara algérien après avoir quitté le Corps de la paix.
Nous sommes partis, Gaylord et moi, sans itinéraire précis. Je crois que nous savions qu’il se trouvait une station forestière ou un vieux chalet de ski à Taffert; c’était sans doute mentionné dans le Guide Bleu. De toute manière, nous avions apporté de la nourriture et des sacs de couchage et tout allait assez bien jusqu’aux 15 ou 20 derniers kilomètres où nous avons commencé à trouver de la neige sur la route. La jeep avait des pneus hors route qui n’allaient pas très bien dans la neige. Au tournant d’une longue courbe, la jeep a commencé à déraper et à glisser vers le bord du chemin où une pente abrupte nous attendait. Heureusement j’ai pu reprendre la maîtrise de la voiture et à partir de là nous avons ralenti de beaucoup. Nous avons commencé à nous demander comment on allait rentrer chez nous s’il neigeait toute la nuit. Nous n’avions pas de prévision de la météo, mais les cieux étaient clairs et, geste insensé, nous avons continué notre chemin. Certes, on aurait été bien gênés de rester pris là.
Peu de temps après l’incident routier, le chemin est devenu moins accidenté et suivait la crête de la montagne. Nous avons accueilli un monsieur du coin que nous avons amené jusqu’à Taffert où, après nous avoir remerciés, a enrobé ses pieds et ses sandales de guenilles pour ensuite se diriger en haut de la montagne vers le col à l’extrémité ouest du Bouiblane que l’on appelle Tizi Bouzabel. Un chemin de terre le traverse et je m’imagine qu’une fois le col franchi, il a trouvé moins de neige et un chemin plus facile. Le soleil se couchait, le temps se refroidissait, nous lui avons souhaité bonne chance et il n’a pas perdu de temps, franchissant le col avant le coucher du soleil.
Il y avait un gardien à Taffert, mais le bâtiment, quoique solide, était dilapidé et il n’y avait pas de feu pour tempérer le froid. D’après moi, le bâtiment ne servait pas souvent à l’époque. Je ne me souviens pas d’électricité, non plus.
Après le souper, donc, nous nous sommes endormis dans nos sacs de couchage.
Le lendemain matin le ciel était gris et couvert et la montagne, couverte de neige, paraissait quelque peu menaçante. Les conditions de la route nous préoccupaient toujours, de sorte que nous sommes partis de bonne heure pour rentrer chez nous. Le trajet s’est fait sans problème, mais nous avons conduit prudemment.
Le prochain voyage était avec Louden et sa femme, Ginny et leur chien, Pigpen. Nous avons à peine dépassé Ahermoumou.
Ce voyage a ouvert la voie pour le suivant. Don Brown, à l’époque un administrateur, et ancien volontaire du Corps de la Paix à Oujda, avait toujours voulu escalader le Bouiblane qu’il avait déjà vu à maintes reprises dans ses voyages à Oujda. Cette fois, nous avions une jeep plus récente. Le groupe était constitué de quatre personnes : Louden, un volontaire, John Paulas, Gaylord et moi. C’était le printemps et nous sommes partis de très bonne heure.
Aucun problème à nous rendre à Taffert, à part quelques éboulements.
Le refuge à Taffert.
Je crois que Don, Louden et John voulaient se rendre au sommet de Moussa ou Salah. Pour une raison ou une autre, Gaylord et moi avons décidé qu’une randonnée plus courte serait plus logique. A mon avis, nous soupçonnions qu’il n’y avait pas assez de temps. Nous avons donc escaladé la petite cime à la gauche du Tizi Bouzabel. Notre effort nous a valu de très belles vues.
Les autres ont découvert à la dure que la crête de Bouiblane constituait une montée aussi longue que pénible qui ne les rendait qu’au col entre Bouiblane et Moussa ou Salah.
Louden qui se dirige vers la crête.
Sur la crête.
Champ de neige le long de la crête principale.
De là ils pouvaient voir clairement que le sommet de Moussa ou Salah était plus haut, mais il se faisait très tard et ils étaient fatigués. Ils ont donc rebroussé chemin, penauds. Le lendemain, comme le temps était brumeux à Taffert, nous sommes rentrés par la piste de Sefrou.
La table était donc mise pour deux autres tentatives par Louden et John, les deux par la piste de Taza. Si Louden lit ce blogue, il en précisera peut-être les détails, mais je crois que l’un des deux m’a dit qu’ils ont fait cette montée au clair de lune. Ce n’est qu’une escalade d’environ trois ou quatre heures de sorte qu’ils auraient peut-être vu un lever de soleil, ce qui aurait été génial. C’est toujours formidable de se trouver sur une grosse montagne au lever ou au coucher du soleil. Dans les Alpes, c’est souvent l’objectif afin de se trouver en bas à l’abri des rochers que la chaleur du soleil d’après-midi fait débouler à partir des champs de neige. Si vous entendez le son que ces projectiles font, vous ne l’oublierez jamais.
Les gens du Maine attendent le premier lever de soleil des 48 États contigus à partir du Mont Cadillac, ou, plus rarement, du Mont Katahdin. J’ai eu le bonheur de voir un coucher de soleil à partir du Toubkal, mais au prix d’une descente à travers une brume froide et humide.
J’ai également vu un coucher de soleil en descendant la crête ouest de l’Angour, et un autre du sommet du Tichoukt. L’un des mes couchers de soleil préférés a été du sommet du Midi de Bigorre qui m’a permis une très très longue randonnée au clair de lune à une station de ski dans la Mongie. Heureusement pour mon compagnon et moi, la nuit était chaude et la réceptionniste était surprise que nous soyons arrivés à la station de ski presque déserte sans voiture! Nous avions essayé de faire de l’auto-stop, mais peu de voitures traversaient le Col du Tournalet cette nuit-là et personne ne s’intéressait à embarquer des auto-stoppeurs dans l’obscurité.
En mai 1970, j’ai enfin eu l’occasion d’escalader Moussa ou Salah lorsqu’un groupe de personnel et de volontaires ont pris deux jeeps pour y aller du côté de Taza.
La promenade en voiture à la base de la montagne a souvent offert de belles vues.
Après avoir campé la nuit, nous nous sommes mis à escalader le lendemain matin. Les vues du sommet de Moussa et Sala n’avaient rien de spécial, Sur le sommet nous avons aperçu un cairn. S’agit-il du site d’inhumation d’un saint local?
Je crois que John Paulas et des stagiaires du Corps de la Paix ont plus tard escaladé le djebel Bou Naceur, visible à partir du sommet de Moussa ou Salah, sans doute en été. Comme il n’y a pas beaucoup d’eau dans les montagnes marocaines en été, cette ascension a dû s’avérer longue, chaude et sèche.
Le Maroc est tellement un beau pays!
Texte : David Brooks
Traduction : Jim Erickson
Très beaux paysages, merci beaucoup. Il existe maintenant une route goudronnée vers bouiblane mais pas encore de pistes de ski, hélas .
Le ven. 14 sept. 2018 à 16:03, Morocco That Was a écrit :
> Dave posted: ” Dans les années 1960, aucun chemin asphalté ne menait au > pied du mont Bouiblane. Aujourd’hui il en existe peut-être un, au moins un > tronçon, et il est possible que les pentes aient été aménagées pour le > ski. Je crois que les Français y faisaient du ski” >
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Merci, Ali. Je vous ai envoyé deux photos prises par M. Barr il y a 50 ans. Regardez-l’es avec Facebook Messenger.
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Toujours interessant, Dave.
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